Caïn et Abel, un conflit fratricide chronique du diacre Natalie Henchoz

Publié le par ELIKIA

Lire, réfléchir et méditer à travers certains textes découverts ici et là est une gageure qui enrichit l'aventure des chantres d’Elikia depuis le commencement. L'envie de revenir au fondamentaux a guidé le choix de ce texte que je vous invite à découvrir dans son intégralité sur le site interbible.org

Caïn et Abel, un conflit fratricide

Les actes violents qui font la une de nos quotidiens depuis quelques mois m'interpellent tout particulièrement. Il me semble qu'une espèce de climat de violence s'est installé sur la planète. Il y a la violence de la guerre, bien sûr, en Irak, au Liberia, mais aussi en Palestine et au Pays Basque. Il y a cette série de meurtres à l'arme blanche, en Suisse et même tout près de chez nous, dans le canton de Fribourg.

     Mais il y a aussi ce que j'appellerai la « violence du hasard » : tous ces accidents où des personnes sont tuées ou grièvement blessées parce qu'elles se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Pourquoi elle? Pourquoi lui? Il semble n'y avoir pour réponse que l'ironie du hasard.

     Plus incompréhensible encore, la violence des événements : violence de la sécheresse, des inondations, de la foudre, des tremblements de terre. Pourquoi ne pleut-il pas? Pourquoi les paysans voient-ils leurs cultures sécher sur pied, alors que leur vie n'est déjà pas si facile? Pourquoi de pauvres gens qui comptaient sur leur potager pour assurer leur quotidien, doivent-ils se trouver encore plus démunis?

     Cette violence de la nature nous renvoie aussi, de façon plus large, au reste du monde où des populations entières sont disséminées, déracinées par une sécheresse, une invasion de sauterelles ou encore le désert qui avance.

     Lancinante question de la violence. Elle ne date pas d'aujourd'hui. De tout les temps les hommes ont cherché à y répondre de façon plus ou moins convaincante. Ce n'est donc pas étonnant de retrouver une histoire de meurtre dès les premiers chapitres de la Bible. Le récit biblique de Caïn et Abel que nous avons entendu tout à l'heure, inscrit la violence, le meurtre, au commencement de l'humanité. Je vous rappelle que le livre de la Genèse n'est pas une narration qui se veut historiquement véridique de la naissance de notre monde (ce n'est pas comme ça que ça c'est passé), ce n'est pas son but. Les récits qui la compose parlent, expliquent (voire règlent) plutôt les relations des hommes avec Dieu, le Dieu d'Israël. Dans ce sens, l'épisode de Caïn et Abel n'est pas une simple « histoire de famille », mais un mythe qui cherche à expliquer l'origine de la violence et sa gestion.

     Ce texte de la Genèse n'est pas simple. Certains mots paraissent déplacés, mal traduits et certaines réactions semblent un peu « à côté de la plaque ». C'est pourquoi nous allons le reprendre petit bout par petit bout pour voir où il peut nous mener.

     Dès le premier verset, l'exclamation d'Ève nous étonne : « J'ai procréé un homme avec le Seigneur. » C'est comme si Ève avait voulu donner à Caïn une double origine : par son père Adam, il est fils du sol (adamah, en hébreux) et il est d'origine divine par l'affirmation de sa mère. Nous verrons qu'après son meurtre, Caïn sera séparé à la fois de Dieu et du sol.

Abel, son frère, a quant à lui un nom particulièrement étrange, puisqu'il signifie « buée », « petit vent » ou encore « vanité » (le même mot que le leitmotiv de l'Ecclésiaste : vanité des vanités, tout est vanité.). Qui aurait idée de prénommer ainsi son fils?. Dans le prénom d'Abel apparaît déjà toute l'expérience de la fragilité humaine. Comme s'il n'était pas destiné à vivre.

     Ces deux frères vont devenir rivaux le jour où l'un des deux fera l'expérience de l'inégalité. Dieu reconnaît en effet le sacrifice d'Abel, et pas celui de Caïn. Comment les frères se sont-ils rendus compte de cette réaction divine? Le texte ne le dit pas. On ne sait même pas si Abel s'en est aperçu. Comme souvent, celui qui subit l'inégalité y est plus sensible que l'autre. Le texte reste aussi silencieux sur ce qui a motivé le choix partial de Dieu. On a souvent cherché à noircir Caïn, en postulant par exemple que Caïn aurait offert un sacrifice de moindre qualité, ou encore que Dieu aurait privilégié Abel parce qu'Ève n'aurait eu d'yeux que pour Caïn. Le narrateur laisse cependant un blanc qu'il nous faut accepter et nous rendre à l'évidence : il n'y a pas de raison logique à la préférence divine. Cette préférence trouve son seul fondement dans l'arbitraire divin qui est soulignée dans le livre de l'Exode (chap. 33, ver. 19) : « J'accorde ma bienveillance à qui je l'accorde, je fais miséricorde à qui je fais miséricorde ».

     Derrière cet arbitraire divin se cache une expérience humaine quotidienne : la vie n'est pas juste, elle est toujours imprévisible et elle est faite d'inégalités qui ne sont pas toujours logiques et explicables. Ce récit ne nous donne aucune réponse quant au pourquoi de cette injustice : elle est. et nous devons vivre avec. Même si cela nous révolte.

     Caïn fait l'expérience de l'inégalité et il réagit de manière forte : la colère bouillonne en lui. Pourtant, si Dieu s'est détourné de son sacrifice, il ne le rejette pas pour autant. Il lui parle, il l'exhorte à ne pas se soumettre au péché. Le terme « péché » apparaît pour la toute première fois dans la Bible ! C'est significatif ! Le « péché originel » n'est pas celui de l'histoire d'Adam et Ève, à savoir la transgression de l'interdit divin. Le premier péché, c'est de laisser libre cours à la violence !!!

     Dieu en appelle à la responsabilité de Caïn, l'encourageant à ne pas s'abandonner à la violence, mais Caïn n'arrive pas à gérer cette colère qui monte en lui. Il essaye pourtant de parler à son frère. Le texte ne nous transmet pas ce qu'ils se disent, mais quoiqu'il en soit, puisque le meurtre a lieu juste après, nous pouvons en conclure que la communication n'a pas passé. Le meurtre est donc lié à l'incapacité des deux protagonistes à communiquer.

     Dieu est immédiatement présent pour questionner et sanctionner (s'est-il d'ailleurs jamais éloigné?) La réponse de Caïn : « suis-je le gardien de mon frère? » peut sembler ironique. Mais qui aurait envie de se montrer ironique dans un moment pareil? Je vois plutôt dans cette réponse tout le désarroi de Caïn : il vient de réaliser la portée de son geste et reste stupéfait, choqué (comme la plupart des meurtriers qui ne préméditent par leur geste). Il ne sait pas comment affronter l'irruption de la violence, que ce soit dans sa vie ou dans la civilisation (souvenez-vous c'est le premier meurtre).

Lire la suite et la fin de la chronique Caïn et Abel, un conflit fratricide par Natalie Henchoz, diacre Neyruz (Fribourg), Suisse

 

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